Impacts et perspectives des articles 10 et 11 – Loi n°2022-1598 du Code du Travail

L’article 10 détaille les principales nouvelles mesures en matière de VAE et parmi les premières évolutions, le texte de loi précise que :

  • Toute personne pourra bénéficier du dispositif qui est désormais « ouvert à toute expérience » permettant l’acquisition de compétences directement liées à la certification visée

Commentaires : Depuis l’origine de la VAE (2002), seules les personnes engagées dans la vie active étaient autorisées à s’inscrire en VAE, sous réserve d’avoir exercé une activité professionnelle sous un statut précisé dans la loi (salarié, non salarié, bénévole ou de volontariat, sportif de haut niveau, élus…). Désormais, toutes les expériences sont licites pour engager une VAE, y compris celles mises en œuvre dans la sphère privée ou pourquoi pas, dans le cadre d’un travail non déclaré. Cette extension va impacter les notions de preuves d’expérience, des contextes de leur mise en œuvre et de leur éligibilité par les jurys car les certifications du RNCP visées sont censées sanctionner, par définition, des compétences « professionnelles ».

  • La durée minimale d’activité est supprimée

Commentaires : Cette mention a pour objectif de lever le frein à l’entrée en parcours VAE lors de la phase recevabilité. Même si le flux de candidats à la VAE disposant de moins de 3 ans d’expérience est extrêmement faible, cette nouvelle donne devrait permettre à quelques candidats supplémentaires d’engager un parcours VAE, mais la question des chances de succès sans « pré requis », notamment de durée de pratique, se pose !

Depuis l’origine, l’ambiguïté sur ce que la recevabilité doit mesurer persiste :

    • Une partie des certificateurs conçoivent la recevabilité comme une « vérification » des seules conditions administratives exigées par la loi. Dans ce format, son intérêt permet uniquement l’entrée dans le parcours et le déclenchement des financements. 
    • Pour les autres certificateurs, l’objectif de la recevabilité est double. Outre l’accès aux financements de la VAE (dont certains sont quand même des financements publics), la recevabilité (faisabilité) doit aussi permettre aux candidats d’apprécier leurs chances de réussite et ainsi de prendre une décision d’engagement « éclairée ». Ce type de recevabilité/faisabilité a aussi pour vocation de permettre au certificateur d’agir « en responsabilité » en refusant l’entrée dans le parcours VAE aux candidats n’ayant aucune chance de validation malgré leur expérience.

Si la recevabilité « administrative » n’est pas officiellement retirée par ce texte de loi, elle devrait néanmoins disparaitre de fait car, au regard de cette évolution, elle devra être octroyée automatiquement par les certificateurs, sans justification de preuve d’exercice (conséquence du paragraphe précédent) ni de durée d’exercice.

En revanche, la durée d’activité requise pour une « faisabilité du projet de VAE » restera, comme c’est déjà le cas, soumise aux exigences des certificateurs (et de leurs jurys dont la souveraineté subsiste).

Cette information « non-officielle » demeurera capitale pour la réussite du projet et va faire perdurer l’opacité du système à ce stade de la procédure.

Comme aujourd’hui, la qualité d’une candidature VAE dépendra de la qualité d’une orientation efficace en VAE qui sera liée à la connaissance de ces durées minimales requises pour une réelle faisabilité du projet (pour chaque certificateur, pour chaque certification, pour chaque domaine de compétences de chaque certification).

Aucune application numérique ne pourra effectuer ce travail de rapprochement que seuls des experts avertis maîtriseront.

  • En plus des certifications complètes, la VAE permettra d’acquérir un bloc de compétences

Commentaires : Sur un plan opérationnel, cette mesure n’a pas beaucoup d’intérêt puisque la loi de 2002 et son opus de 2016 l’autorisaient déjà tacitement. Mais, la demande initiale de VAE pourra désormais être formulée seulement sur un bloc et plus exclusivement, comme aujourd’hui, sur la certification complète.

Sur un plan statistique, elle permettra de comptabiliser toutes les VAE partielles comme des VAE à part entière et d’augmenter artificiellement le nombre annuel de VAE réalisées !

En intégrant ce point dans la loi, le législateur souhaite probablement inciter les personnes à faire des VAE partielles dans des logiques de parcours mixtes.

Cela permettrait d’afficher à l’avenir :

    • Des recevabilités (faisabilités) potentiellement plus faciles et rapides à obtenir ;
    • Des dossiers plus courts à rédiger et par conséquent des temps de procédure moins longs ;
    • Des coûts réduits.

4 difficultés majeures pourraient potentiellement contrarier le projet :

    • 80% des certifications ne sont pas divisées en blocs de compétences. L’offre de VAE par bloc comme celle des formations modulaires complémentaires est donc quasi inexistante et mettra du temps à s’étoffer.
    • La disponibilité et la fréquence des jurys pour ces VAE de blocs ;
    • L’impossibilité de faire jouer des mécanismes de compensation comme cela se fait pour des projets de VAE totale qui permet d’obtenir les parties plus « fondamentales » (connaissances) des certifications ;
    • L’émergence de cohortes de candidats possédant des certifications partielles qui seront ensuite dans l’incapacité pratique, technique et financière de compléter les blocs obtenus pour acquérir la certification complète (Retour à la logique de la VA 92 abandonnée à cause de cet écueil et remplacé par la VAE en 2002 !)
  • L’accompagnement interviendra désormais tout au long de la procédure de VAE

Commentaires : Ce postulat devrait permettre de prendre en charge tous les frais de VAE, notamment ceux préalables à la recevabilité.

Restent à définir :

A partir de quand la procédure commencera officiellement ?

    • Dès que la personne se renseigne ?
    • Quand elle fait une première démarche auprès d’un des acteurs du parcours ?
    • Quand elle s’inscrira sur la plateforme ?

Quel(s) opérateurs réaliseront ces services et quels dispositifs financeront les coûts des prestations ?

  •  La durée maximale du congé de VAE est désormais portée à 48 heures

Commentaires : Ce congé est très rarement utilisé par les candidats à la VAE (<10%)

Quand les indicateurs précisent que candidats consacrent de 50 à 200 heures pour une VAE, l’augmentation de 24 à 48 heures apportera peu à ceux qui prévoient de l’utiliser. Le congé demeure toutefois nécessaire pour les salariés confrontés à des employeurs opposés à la VAE car il constitue un droit pour participer aux rencontres avec le certificateur et surtout pour se présenter à la convocation à l’oral du Jury.  

  • Les associations Transitions pro pourront prendre en charge les frais afférents à la VAE

Commentaires : Cette mesure pérennise les financements temporaires proposées par TRANSITION PRO depuis la crise sanitaire. C’est une très bonne mesure qui offre une réelle solution à tous les salariés dont le compte CPF n’est pas suffisamment alimenté ou pour préserver leur capital CPF pour le consacrer aux éventuelles formations complémentaires.

Si un décret pouvait étendre à la fonction publique cette disposition, il permettrait aux agents qui ne disposent pas d’une réelle « solution autonome » de financement pour leur projet VAE de s’y engager. Au regard des effectifs d’actifs dans les fonctions publiques qui se renseignent en centres de conseil VAE depuis 20 ans et qui abandonnent faute de financement, il y aurait là, un vivier important de parcours VAE qui serait facilement activable.

  •  Un service public de la validation des acquis de l’expérience est créé

Il aura pour mission d’orienter et d’accompagner toute personne demandant une validation des acquis de son expérience et justifiant d’une activité en rapport direct avec le contenu de la certification visée.

Un groupement d’intérêt public mettra en œuvre, au niveau national, les missions qui lui sont dévolues.
L’État, les Régions, Pôle emploi, l’AFPA, les opérateurs de compétences et les associations Transitions Pro seront membres de droit du GIP. D’autres personnes morales publiques ou privées pourront adhérer à ce groupement. 

Commentaires : La présence des Régions, opératrices du service VAE depuis 20 ans dans ce GIP, tout comme l’Etat, les Opérateurs de Compétence et les Transitions Pro semble légitime. L’absence des principaux certificateurs d’Etat et la présence « de droit » de Pôle Emploi et de l’Afpa est plus surprenante. L’ouverture à toutes les personnes morales publiques ou privées corrige toutefois cette construction.

A noter que l’article L-6111 du code du travail est notamment corrigé mais que son troisième alinéa (L 6111-3) n’a pas subi de modification et que le service de conseil sur la Validation des Acquis de l’Expérience demeure sous la responsabilité des Régions :

« ….La région coordonne les actions des autres organismes participant au service public régional de l’orientation et met en place un réseau de centres de conseil sur la validation des acquis de l’expérience… »

  • L’article 11 présente une expérimentation :
    • Pour une durée de 3 ans, débutant au plus tard le 30/03/2023
    • Engagée pour des contrats de professionnalisation
    • Incluant des actions de VAE

Commentaires : Il faudra attendre les décrets d’application relatifs à cette expérimentation pour comprendre son intérêt. Depuis 10 ans, des tentatives de VAE collectives ont déjà été lancées à partir de cohortes de demandeurs d’emploi pour tenter d’apporter une ressource aux emplois en tension dans les territoires. Les différentes actions n’ont pas rencontré le succès escompté…

Conclusions

Ces premiers ajustements de la loi relatifs à la réduction des critères de sélection pour l’accès aux parcours VAE interrogent sur leur portée.

Dans le champ de la VAE comme dans celui de la formation, la suppression des prérequis ne va jamais de pair avec la progression du taux de réussite des parcours, sauf à réduire en même temps le niveau d’exigence des évaluations. Pour la pérennité du dispositif, espérons que les prochaines mesures concernant les jurys ne s’engageront pas dans cette voie.

En actionnant les leviers liés aux financements, à l’élargissement de l’accompagnement, au congé et au futur service public de la VAE, la loi semble sur de meilleurs rails mais les « aiguillages » formatés par les prochains décrets d’application permettront de savoir si le dispositif sera armé pour voyager longtemps ou s’il se prédestine à finir sur une voie de garage.